« De Darwin à Hitler: Ethique évolutionniste, eugénisme et racisme en Allemagne. »*
Comment expliquer l'acceptation générale de sa folie génocidaire parmi la population allemande? Pourquoi y-a-t-il eu si peu de résistance face aux idées d'Hitler avant qu'il n’établisse sa doctrine totalitaire?
La plupart des allemands n'ont pas vu en Hitler le fou génocidaire qu'il s'avéra être par la suite. Le monde post-nazi se demande comment un homme comme Hitler a pu surgir dans un pays comme l'Allemagne. Weikart se demande qu’est-ce qui a bien pu changer dans la culture allemande pour qu'un tyran meurtrier accède au pouvoir ?
Les antécédents moraux de la doctrine nazie ne demeurent pas dans "Mein Kampf" mais dans le darwinisme social des académies allemandes qui commença presque un siècle avant la venue au pouvoir d'Hitler. Lorsque le livre de Darwin " l'origine des espèces" fut publié pour la première fois en 1859, son idéologie prit d'assaut les intellectuels et captura l'esprit des penseurs allemands comme peu d'idées le firent. Cela causa un bouleversement culturel qui ouvrit la voie à Hitler.
Selon les intellectuels allemands, la théorie de Darwin posa en principe non seulement un plan biologique qui décrivit le développement des organismes mais fournit la clef qui pouvait déverrouiller le mystère sur la création d'une société meilleure. Du milieu du XVIIIème siècle au début du XIXème siècle, le darwinisme devint le modèle dominant pour interpréter la plupart des autres disciplines dont l'histoire et l'anthropologie.
Weikart fit la chronique de l'évolution culturelle du darwinisme avec des détails substantiels, la plupart à partir des sources originelles. Weikart affirme que la voie historique de Darwin à Hitler est pleine de nombreux rebondissements, alors que plusieurs darwinistes n'auraient pas approuvé le mal que le darwinisme social a finalement déclenché ; ils sont devenus néanmoins, sans le savoir, responsables de la montée d'Hitler.
Dans la théorie de Darwin, la mort est le moteur du progrès évolutionnaire. Les organismes les plus faibles sont éliminés alors que les organismes les plus forts survivent. La sélection naturelle est interprétée comme un bienfait dicté par la nature.
L'idée traditionnelle de la souffrance et de la mort subit un changement et une révision. Il en résulte un relativisme moral qui redéfini le meurtre "d'indésirables" comme étant socialement désirable. Puisque les sociétés et les nations fonctionnent aussi par sélection naturelle, le meurtre des faibles peut être justifié comme aidant au progrès social, la vie n'étant plus considérée comme sacrée.
La science l'emporte sur la religion dans la vision morale du darwinisme, ainsi une politique qui autorise le meurtre d'innocents implique l'autorisation, digne de foi, de la science. Les programmes qui font la promotion de l'avortement, de l’infanticide, de l'euthanasie (et des camps de concentration qui viendront plus tard) suivent toujours cette logique morale d'une façon ou d'une autre.
L'éthique darwinienne contraste nettement avec la vision morale judéo/chrétienne qui voit la mort comme un ennemi qui doit être détruit. La mort n'est pas définie comme une force intrinsèque primitive de la nature mais comme une aberration, comme quelque chose qui entra dans le monde après qu'il fût déjà crée. Le récit de la genèse dit que la mort est entrée dans le monde seulement après que "Dieu se soit reposé". La mort n'a été ni créée par Dieu ni n’est « naturelle » à la nature.
Au lieu de cela, la mort est entrée dans le monde par la rébellion de l'homme (Genèse chapitre 3) et ainsi, elle ne peut être interprétée comme un bien social. Cette vue impose l’obligation morale que le fort doit porter le fardeau des faibles plutôt que de les tuer. La vie est considérée comme sacrée.
Dans des termes théologiques, la sélection naturelle darwinienne pose en principe un dualisme manichéen sécularisé où la nature fonctionne comme un dieu qui fait autorité à partir de laquelle en résultent la vie et la mort.
Il n’y a pas une distinction morale figée entre la vie et la mort dans la vision darwinienne, et la valeur morale donnée par la vie et la mort est déterminée seulement par des critères arbitraires et socialement conditionnés. Le darwinisme social n’a pas surgi d’un vide culturel. D’autres facteurs ont contribué à la prédominance darwinienne qui a servi à l’imposer comme la clef de la compréhension du progrès social.
Premièrement, le culte du progrès était la principale dominance dans toute l’Europe à cette époque. Plusieurs penseurs partageaient la croyance de la marche inévitable du progrès tirée d’un positivisme généralisé pas encore défié par le carnage de la 1ère guerre mondiale. Deuxièmement, les idées malthusiennes (à mesure que les populations augmentent, les ressources naturelles décroissent) ont également contribué à cette prédominance darwinienne.
La doctrine malthusienne va comme un gant à la sélection naturelle et lui fournit un profond sens de justification morale lorsque les idées génocidaires furent mises en pratique, en particulier envers les non-allemands. Troisièmement, le matérialisme radical de Nietzche et d’autres définit la supériorité sur l’existence faisant ainsi taire les reproches moraux des judéo/chrétiens sur le relativisme intrinsèque darwinien.
Le darwinisme était capable d’assimiler ces courants et de leur donner de la cohérence et une unité concrète sous la rubrique de science objective. C’est là que les valeurs du livre de Weikart sont les plus apparentes. Nous voyons avec quelle rapidité l’éthique sociale darwinienne a pris racine en Allemagne.
Les hôpitaux devinrent des centres d’extermination, de sorte qu’en 1939 par exemple, 70 000 allemands périrent déjà dans des programmes eugéniques avec le consentement et une aide concrète de l’establishment médical allemand. La pénétration de l’éthique sociale darwinienne était si implantée que la morale judéo/chrétienne en fût détrônée. Des cinglés diaboliques tels que Joseph Mengele croyaient vraiment que leurs expériences aideraient la race humaine.
Après Auschwitz et les goulags, cela ne devait pas être difficile de reconnaître l’apparence illusoire de la revendication des idéologies totalitaires comme étant de quelque manière que ce soit « scientifique ». Les millions de morts au nom du nazisme et du marxisme devraient à eux seuls évoquer un peu d’humilité envers les limites de la science, et révéler les efforts transparents pour s’octroyer de l’influence quand, en fait, elle n’en a pas.
Cependant, dans l’Allemagne d’avant guerre, la croyance que l’idéologie séculaire pouvait améliorer la société humaine dominait comme la tour de Babel et ne faiblit pas tant que Berlin ne fut bombardée.
En temps voulu, la logique morale darwinienne serait appliquée à toutes les nations. L’Allemagne se voyait comme étant la plus éduquée et cultivée en Europe, et, à la lumière du darwinisme social, le progrès allemand servait de preuve de la suprématie allemande. Ces idées racistes alimentaient l’agression allemande d’abord comme des occupants coloniaux (les allemands étaient notoirement brutaux envers les populations qu’ils soumettaient) et ensuite en tant que conquérants européens. La semence de la suprématie aryenne et le lebensraum ont été semés à ce moment précis.
Au moment où Hitler arriva au pouvoir, le darwinisme social était fermement ancré dans la culture allemande. Hitler était capable de diriger la machinerie d’état envers le génocide sans aucune résistance publique notable car la barrière morale contre le mal avait été renversée longtemps avant qu’il n’arrive au pouvoir. Les allemands pouvaient déjà justifier le meurtre de leurs propres compatriotes, il serait encore plus facile de justifier le meurtre des autres peuples.
Pourquoi Hitler s’en est-il pris aux juifs ? Weikart écrit que trouver une réponse est difficile parce que les preuves historiques sont rares. L’antisémitisme a toujours été présent parmi les instigateurs du darwinisme social mais habituellement à la marge. L’antisémitisme populaire était plus dominant, Hitler s’est inspiré de ces écrits populistes. Weikart ne traite pas plus que cela le sujet.
Weikart écrit que le darwinisme n’a pas produit l’holocauste, mais sans lui, le soutien scientifique et social qui justifie le génocide comme étant moralement bénéfique dont ont bénéficié Hitler et ses partisans n’aurait pas existé. Le darwinisme a tordu le cou à la morale judéo/chrétienne. En élevant la mort comme étant un progrès et en abandonnant la notion que la vie est fondamentalement sacrée, la fondation morale pour une barbarie sans précédent était en place.
Fr. Johannes L. Jacobse est un prêtre grec orthodoxe et vous pouvez visiter son site internet www.orthodoxytoday.org.
*From Darwin to Hitler: Evolutionary Ethics, Eugenics, and Racism in Germany
Richard Weikart (Palgrave Macmillan Press)
Traduction : Blaise Garcia
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